Mardi soir, le personnel avait les larmes aux yeux lorsque le dernier des Lur Saluces impliqué dans la gestion du légendaire Sauternes a prononcé son discours d'adieu, après 37 années de présence.
Pierre Lurton, lui, jubile, à l'idée de présider aux destinées du "plus grand vin blanc du monde" qui fut classé en 1855 "premier grand cru exceptionnel", tout en conservant la direction de Cheval Blanc, une des propriétés les plus prestigieuses de Saint-Emilion.
"Je n'ai même pas discuté la question des émoluments", plaisante cet homme de 47 ans issu d'une des grandes familles bordelaises de l'aristocratie du bouchon. Car "ce genre de proposition ne se refuse pas quand on est passionné de vin et de terroir".
Le 18 mai, c'est un bref communiqué du groupe LVMH, le principal actionnaire du domaine, qui a annoncé en six phrases neutres sa nomination comme président directeur général, une nouvelle page pour l'histoire d'Yquem.
Le comte de Lur Saluces, lui, devient conseiller du président du groupe, pour "assister les choix stratégiques et le développement des activités viti-vinicoles". A 70 ans, la réévaluation de ses fonctions était inscrite dans un contrat passé en 1999 lors du rachat d'Yquem par LVMH au terme d'une longue bataille judiciaire.
Mais si le désormais "président d'honneur" conserve un siège au conseil d'administration, il n'est pas sûr que les étiquettes d'Yquem porteront encore le nom des Lur Saluces, indique-t-on de source informée.
La famille, dont la noblesse remonterait à l'époque médiévale, avait acquis le domaine en 1785 après le mariage de Louis-Amédée de Lur Saluces avec la dernière héritière de la lignée des Sauvage d'Yquem, eux-mêmes propriétaires de la maison d'Yquem depuis 1593.
Quelques générations plus tard, en 1996, Alexandre de Lur Saluces s'était farouchement opposé à la vente consentie par 45 membres de sa famille, avant de se résoudre à céder ses 10% de parts.
Quoi qu'il arrive, "il restera le jardinier du temple", assure Pierre Lurton, qui "ne veut pas changer la signature" d'Yquem.
Celui qui se définit comme "un pur produit génétique de la bonne éducation lurtonienne" s'est lancé dans le monde du vin à 23 ans, quand son oncle, André, lui a confié le château Château Clos Fourtey, alors qu'il "cherchait sa voie", après deux années d'études en médecine et en pharmacie.
A 33 ans, la famille Laussac-Fourcaud le choisit pour diriger Cheval Blanc. Sept ans plus tard, les nouveaux propriétaires, le PDG de LVMH Bernard Arnault et le financier belge Albert Frère, le confirment comme gérant avant de lui confier le développement de "Cheval des Andes" en Argentine.
Ses credos: "laisser parler le terroir, respecter le caractère des vins, ne pas se laisser influencer par les modes, ne pas vivre au rythme cardiaque des oracles" oenologiques, dont les critiques orientent le marché mondial des grands vins.
Et s'il veut apporter à Yquem "un vent de fraîcheur et de spontanéité", pas question de changer l'image élitiste du domaine qui, depuis toujours, se passe dédaigneusement de toute signalisation sur les petites routes du Sauternais. |